Édition 2007

DAYANITA SINGH & NONY SINGH

Dayanita Singh est invitée cette année aux Rencontres d’Arles et a choisi de brouiller encore un peu plus ses cartes. À l’énigmatique dernier volet de son œuvre personnelle « Go Away Closer », elle choisit d’associer les images d’une photographe inconnue qu’elle a « découverte » récemment : sa mère ! Au fil de sa pratique photographique, Dayanita Singh s’est peu à peu affranchie, en quelques années décisives, de tous les clichés associés à son pays pour nous emmener dans les labyrinthes de son monde sans couleur. Farouche adversaire de toute notion d’indianité dans son art, elle nous laisse chercher nous-mêmes le chemin au sein de sa saga familiale – et ô combien indienne – tout encombrée d’« amour, [de] mémoire et [de] perte », nous laissant le soin de trouver notre propre issue ou de tirer bénéfice de notre égarement. Lorsqu’elle propose à sa mère de 75 ans d’exposer pour la première fois avec elle à Arles, Dayanita sait qu’à elles deux, elles mettent la barre très haut. Car Nony, sa mère, est une photographe accomplie, même si elle n’en a jamais fait profession. Elle a photographié Dayanita, ses sœurs et son mari, Mahinder. Ce sont ces négatifs, ces tirages bon marché, ces albums  – dont un, renversant, qu’elle a constitué à partir des photos de son ex-Don Juan de mari – que Dayanita fait remonter du passé. Ils sont bouleversants d’intensité, de force. Dayanita le sait car elle y puise quelques-unes des énigmes qui nourrissent son œuvre. Et, toutes deux unies pour la première fois dans la photographie, elles nous embarquent dans un drôle de voyage. Alain Willaume
 
 
DAYANITA SINGH
Éloigne-toi plus près
Dayanita Singh est la chroniqueuse des moments perdus d’une vision intense. Elle rassemble des images de nulle part, sorte de déjà-vu lointain qui soudain nous rencontre dans l’ici et le maintenant. Elles illuminent l’idée d’un quelque part, ou d’un autre, presque par magie, précisément parce que le lieu et le temps sont éliminés. Dayanita Singh a développé son propre langage photographique, créant des horizons narratifs offerts au regard, à la lecture de tous. La photographe en tant que source d’information s’efface complètement, écartant l’idée même de la photographie comme illustration exhaustive d’une histoire complète et consistante qui n’aurait plus qu’à être comprise, suivie. Les photographies de Dayanita Singh sont en quête de spectacteurs. Ce sont à eux de les mettre en œuvre, et, puisant dans leur imaginaire, de les nourrir d’histoires possibles glannées au fil de leur propre expérience, de les enrichir intellectuellement, culturellement. Les photographies de l’artiste fonctionnent comme des éléments linguistiques, des syllabes ou des embryons de mots. Aucune image ne se forme si ses lecteurs ne les interprètent pas, s’ils ne déchiffrent pas ces éléments, s’ils ne se les approprient pas. D’ailleurs, les photographies de Dayanita Singh n’ont ni titre ni date : ses lecteurs sont invités et amenés à se perdre dans un « Quelque Part » de l’imagination. Go Away Closer, titre de la série, joue sur cette ambivalence : une sensation simultanée de présence et de ravissement vers laquelle nous entraînent les images. Le travail photographique de Dayanita Singh occupe une étagère étroite dans la cuisine de son appartement de New Delhi, sous la forme d’épreuves contact noir et blanc, reliées à la main dans des carnets noirs, format carte postale. Si l’occasion se présente de les feuilleter, de se laisser promener d’image en image, de lieu en lieu, hors du temps et de l’espace, on aura vécu un moment d’une intensité rare en photographie. Ces livrets que Dayanita Singh appelle ses « journaux » rassemblent des séries datant des deux dernières décennies : une analyse de la vie de jeunes femmes dans un ashram de Bénarès (I Am As I Am, « Je suis comme je suis »), la vie de jeunes prostituées dans les grandes villes (Kamathipura Series), puis son amitié avec l’eunuque Ahmed (Myself Mona Ahmed, « Moi, Mona Ahmed ») vécue jusqu’à l’annihilation, et enfin, en guise de contre-mesure, un retour à ses racines biographiques avec des portraits formels de riches clans familiaux indiens (Privacy, « Intimité »). Même dans la série Privacy apparaissent des intérieurs dépeuplés. Dayanita Singh affirme sa fascination pour la poésie ouverte des chambres vides dans les séries de Chairs, beds and images of images (« Chaises, lits et images d’images ») ainsi que dans Go Away Closer : les intérieurs de cinémas à Bombay et ailleurs, la surface de l’eau devant le palais de Devigarh, le sol noir reluisant du palais de Padmanabhapuram en Inde du Sud, une usine de Pune, un mariage, des images toutes réelles, toutes irréelles. « Go Away Closer, c’est pour moi cette relation ambiguë que l’on a avec l’amour, la perte, la mémoire… mais ces mots sont si galvaudés qu’au mieux, on ne peut qu’y faire allusion. Vouloir, ne pas vouloir, ne pas savoir lâcher prise. Et puis, votre lecture, qui peut-être n’aura rien à voir avec ma propre saga. ».  Dayanita Singh
Renate Wiehager

NONY SINGH
Nony & Nixi
À l’âge de sept ans, j’ai fait un portrait de ma mère au Pakistan, lors d’un pique-nique avec la famille. C’est aujourd’hui encore l’une de mes photographies préférées. En 1948, j’étais en pension à Dehradun. Chaque mois, je consacrais mon argent de poche (20 roupies) à prendre des photographies avec mon appareil, tandis que mes amies dépensaient le leur en sucreries. En janvier 1960, celui qui allait devenir mon mari a annoncé à son père qu’il avait choisi de m’épouser. Le célibataire le plus prisé avait enfin décidé de se marier ! Son père, sous l’effet de la joie et de l’émotion, m’a fait don de son Zeiss Ikon, qu’il portait à l’épaule. Après mon mariage, j’ai ouvert un coffre qui était plein de photographies de femmes, souvent en train de danser avec mon mari. Il m’a expliqué qu’il s’agissait de ses petites amies du monde entier. Ma réaction a été de le gronder pour son manque de respect envers de bien belles photographies, et envers ces femmes qu’il avait aimées. J’ai alors décidé de ranger toutes ces images dans un album, L’album des petites amies de mon mari. Quel don Juan il faisait ! J’ai collé ma photographie sur la dernière page. J’ai photographié mes filles en train de grandir. J’ai surtout photographié ma première-née, Nixi (Dayanita Singh), émerveillée du miracle de cette vie que j’avais créée, presque à l’égal de Dieu. Après sa naissance, mon mari m’avait emmenée à l’hôtel Oberoi à Srinagar au Cashemire. Nous avions réservé la suite présidentielle. Jamais je n’étais entrée dans un hôtel cinq étoiles, et voilà que je me trouvais dans leur plus belle suite ! J’ai installé ma Nixi adorée sur la méridienne et j’ai pris une photo pour prouver à ma famille que j’avais bel et bien dormi dans cette chambre. Puis j’ai photographié toutes les appliques, les lits, la vue. Dès son plus jeune âge, Nixi avait une réelle sensibilité artistique. J’ai conservé ses carnets à dessin, ses portraits croqués à l’âge de cinq ans. Je me disais, ce talent, je dois veiller à ce qu’il ne soit pas abîmé par les aléas de la vie. Mais elle se montrait très impatiente avec ma photographie, quand je comptais les pas pour faire ma mise au point. Un jour je l’ai déguisée en gitane, ce qui s’est révélé assez prophétique. Même quand je l’habillais en Vierge Marie, je sentais bien qu’elle ne mènerait pas une existence conventionnelle. Elle est maintenant une photographe de renom. J’ai dû me battre avec mon mari pour l’envoyer dans une école de design et, une fois veuve, je me suis assurée qu’elle pourrait se consacrer à sa passion à l’écart des différends familiaux. Sur la dernière photo que j’ai prise d’elle avant qu’elle-même devienne photographe, on aperçoit mon ombre ! En 1997 je suis allée au Pakistan, 50 ans après l’indépendance. Je suis allée voir la maison dans laquelle j’étais née, à Anarkali à Lahore. J’ai visité la chambre dans laquelle j’avais vu le jour, j’ai jeté un coup d’œil à la minuscule chambre noire alors interdite d’accès. Je me rappelais ma grand-mère nous sermonnant quand nous n’étions pas sages : « Soyez gentils, ou je vous enferme dans la chambre noire ! » Bien sûr, nous avions tous oublié que mon grand-père avait été photographe ; il était mort jeune et la chambre était toujours fermée à clef. C’est ainsi que la chambre noire s’est glissée dans nos vies. Et plus tard, Nixi gardait toujours la lumière allumée dans sa chambre pour dormir. Mon mari lui demandait de ne pas gaspiller d’électricité et s’entendait répondre qu’elle voulait éviter aux dieux de trébucher dans le noir. Je continue à photographier, bien que j’utilise maintenant un appareil numérique que ma célébrité de fille m’a rapporté de l’étranger. C’est elle qui a retrouvé tous mes vieux négatifs et les a fait tirer en 2000. J’étais étonnée en voyant certaines photographies : jusqu’à présent, le laboratoire avait recadré mes photos carrées dans des rectangles, si bien que pendant toutes ces années, j’avais cru que l’appareil photo voyait moins que mes yeux. Et maintenant, cet aimable monsieur raconte qu’il veut montrer mes photographies en France. Je suppose qu’il fait juste preuve de gentillesse. Nony Singh
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