Édition 2007
SUNIL GUPTA
Amour & Lumière
Thé et biscuits. Assis en face de nous sur sa terrasse de New Delhi, Sunil Gupta n’est pas vraiment là. De son village familial de Mundia Pamar aux backrooms de Londres et retour, le monde lui a joué bien des tours. Arrivé à 15 ans avec ses parents dans un Montréal couvert de neige et où les gens parlaient français, il lui a fallu bien des talents pour retrouver son chemin. Du haut de sa vie d’émigré, Sunil a eu une vue plongeante sur l’hypocrisie, la honte et les humeurs des hommes – avec un petit h. Et sur l’amour-toujours. Et comme Sunil n’est jamais vraiment là, il nous offre ses Images d’ici1 pour nous convaincre de sa présence, et rester avec nous un peu plus longtemps encore, nous invitant à partager son élixir d’exil. De ses yeux vifs, de sa voix lente, acceptons toute l’histoire. Peau lisse contre voyous. Avec son sourire, toute une vie de fraternité et de combats. Avec son calme, des lignes de vies et de questions. Avec sa pudeur, des envies de voyage et de partage. Fidèle dans le rendu de ses couleurs comme en amour. Alain Willaume
1. Pictures From Here est le titre de son livre paru en 2003 aux éditions Chris Boot, Ltd.
« Je suis rentré en Inde à l’été 2005 : un déménagement précipité par un coup de foudre pour un homme de New Delhi. Cet événement est consigné dans la première image d’une série de diptyques intitulée Love & Light (Amour et lumière). J’ai tenté d’y traduire la charge émotionnelle entre nous et avec le lieu, un monastère bouddhiste au Ladakh. Mon travail est devenu indissociablement lié à ma vie et il est parfois difficile de savoir où se trouve la frontière.
C’est lors de ma première grande exposition solo à Delhi en 2004 que j’ai rencontré cet homme. Elle y a été très chaleureusement acceuillie et j’y ai été très sensible, après 37 années passées à l’Ouest. Quelquechose d’inattendu me prenait par surprise. J’étais séropositif depuis neuf ans déjà, mon dernier amoureux m’avait quitté ; voir qu’il était possible de retrouver l’amour fut pour moi une surprise. Cette image a été montrée dans Poz, un magazine de New York pour les séropositifs. Des gens m’ont écrit pour me dire qu’elle les avait touchés. Le discours sur le Sida est tellement attaché au jargon médical et aux études sociologiques que les gens en oublient de parler de l’amour. Peu après mes 50 ans, j’ai rencontré lors d’une interview l’universitaire anglais Stuart Hall, invité par l’université des West Indies. Naturellement, nous avons parlé de notre expérience de la diaspora et de l’attirance que nos pays d’origine exerçaient sur nous. Tôt ou tard, nous nous demandons presque tous si nous allons finir par rentrer dans notre terre natale. Ou si notre vrai foyer est notre terre d’adoption. Hall me suggéra de rentrer au pays pour y jouer un rôle actif. Cela suffit à me décider : pour moi, plus tard, serait sans doute trop tard, et je le savais bien. Je ne souhaitais pas devoir y retourner comme un retraité, et y être coupé de mon travail et de mes amis. Je viens d’une famille de migrants économiques. Au milieu des années 1970, j’ai été étudiant à l’université de New York mais j’ai arrêté le cursus et suis allé suivre en 1976 les cours de Lisette Model, qui devint mon premier mentor ; pour moi, la photographie moderne était arrivée. Elle m’a dit : « Vous feriez bien d’abandonner votre école de commerce et de vous lancer dans la photo. » J’ai décidé de faire preuve d’un peu d’audace et j’ai suivi son conseil, sans trop savoir comment j’allais survivre. Ce que je présente ici, c’est ce qui s’est passé entre ces deux rencontres qui ont changé ma vie et la suite. L’amoureux indien n’est plus là, mais à la place j’ai épousé le pays. En 2004, Radhika Singh, directrice de l’agence Fotomedia à New Delhi, a choisi certaines de mes œuvres pour des expositions : Exiles (Exilés), Trespass (Entrée illégale), From Here to Eternity (D’ici à l’éternité) et Homelands (Terres natales). Actuellement, je travaille sur Country (Pays) et Love & Light (Amour et lumière) qui traitent tout simplement de ma relation avec mon pays, l’Inde : sa géographie, son histoire, sa spiritualité et l’amour qu’il a à offrir. »
Sunil Gupta, New Delhi, 2007.
1. Pictures From Here est le titre de son livre paru en 2003 aux éditions Chris Boot, Ltd.
« Je suis rentré en Inde à l’été 2005 : un déménagement précipité par un coup de foudre pour un homme de New Delhi. Cet événement est consigné dans la première image d’une série de diptyques intitulée Love & Light (Amour et lumière). J’ai tenté d’y traduire la charge émotionnelle entre nous et avec le lieu, un monastère bouddhiste au Ladakh. Mon travail est devenu indissociablement lié à ma vie et il est parfois difficile de savoir où se trouve la frontière.
C’est lors de ma première grande exposition solo à Delhi en 2004 que j’ai rencontré cet homme. Elle y a été très chaleureusement acceuillie et j’y ai été très sensible, après 37 années passées à l’Ouest. Quelquechose d’inattendu me prenait par surprise. J’étais séropositif depuis neuf ans déjà, mon dernier amoureux m’avait quitté ; voir qu’il était possible de retrouver l’amour fut pour moi une surprise. Cette image a été montrée dans Poz, un magazine de New York pour les séropositifs. Des gens m’ont écrit pour me dire qu’elle les avait touchés. Le discours sur le Sida est tellement attaché au jargon médical et aux études sociologiques que les gens en oublient de parler de l’amour. Peu après mes 50 ans, j’ai rencontré lors d’une interview l’universitaire anglais Stuart Hall, invité par l’université des West Indies. Naturellement, nous avons parlé de notre expérience de la diaspora et de l’attirance que nos pays d’origine exerçaient sur nous. Tôt ou tard, nous nous demandons presque tous si nous allons finir par rentrer dans notre terre natale. Ou si notre vrai foyer est notre terre d’adoption. Hall me suggéra de rentrer au pays pour y jouer un rôle actif. Cela suffit à me décider : pour moi, plus tard, serait sans doute trop tard, et je le savais bien. Je ne souhaitais pas devoir y retourner comme un retraité, et y être coupé de mon travail et de mes amis. Je viens d’une famille de migrants économiques. Au milieu des années 1970, j’ai été étudiant à l’université de New York mais j’ai arrêté le cursus et suis allé suivre en 1976 les cours de Lisette Model, qui devint mon premier mentor ; pour moi, la photographie moderne était arrivée. Elle m’a dit : « Vous feriez bien d’abandonner votre école de commerce et de vous lancer dans la photo. » J’ai décidé de faire preuve d’un peu d’audace et j’ai suivi son conseil, sans trop savoir comment j’allais survivre. Ce que je présente ici, c’est ce qui s’est passé entre ces deux rencontres qui ont changé ma vie et la suite. L’amoureux indien n’est plus là, mais à la place j’ai épousé le pays. En 2004, Radhika Singh, directrice de l’agence Fotomedia à New Delhi, a choisi certaines de mes œuvres pour des expositions : Exiles (Exilés), Trespass (Entrée illégale), From Here to Eternity (D’ici à l’éternité) et Homelands (Terres natales). Actuellement, je travaille sur Country (Pays) et Love & Light (Amour et lumière) qui traitent tout simplement de ma relation avec mon pays, l’Inde : sa géographie, son histoire, sa spiritualité et l’amour qu’il a à offrir. »
Sunil Gupta, New Delhi, 2007.
Executive producer : Le Tambour Qui Parle.