Édition 2007
RAGHU RAI
Reflets de l’Inde
Quand, assis devant le portrait de son gourou, l’élégant et ardent Raghu Rai parle de l’acte de photographier, il avoue bien vite qu’au bout d’un moment, sous l’impulsion d’un bonheur et d’un vertige irrépressibles, il lui prend comme une envie de danser autour de son sujet. L’œil vissé à son viseur, il vit au cœur d’un pays-muse qui le comble et le vénère. Omnivoyant, il résout l’équation des trois termes « Inde », « Humanité » et « Photographie » en une symbiose naturelle, quasi organique, où se mêlent accomplissements personnel, artistique et mystique. À 65 ans, fort de cette alchimie euphorique, il vit avec l’émerveillement d’un enfant l’avènement du numérique qui lui permet d’avoir enfin le contrôle absolu sur tous les stades de la fabrication prolifique de ses icônes. Et si une Inde photographique mérite encore d’être « éternisée » aujourd’hui – fidèle en cela à nos vœux ou nos regrets les plus secrets –, c’est bien grâce au talent inégalé du maître de céans. Alain Willaume
Je considère l’appareil photo comme un outil d’apprentissage. Quand on regarde à travers l’objectif, on parvient à une certaine concentration. Dans ces moments, on pénètre l’invisible, on découvre l’inconnu. C’est un apprentissage de soi et du monde […]. À mesure que j’apprends la vie déclic après déclic, dans ces instants de plénitude, le désir surgit finalement de me libérer des besoins et des exigences, des émotions et des stimulations qui nous entravent tant. […] Tout ce que l’on est dans ces moments est reflété dans son travail, si bien qu’on réfléchit comme un miroir. […] Je crois que le travail du photographe consiste à insérer une tranche du monde qui l’entoure dans un cadre, avec tant de fidélité et d’honnêteté que s’il devait la reposer à sa place, le monde reviendrait à la vie sans un heurt. Mon but, maintenant, n’est plus d’être un « bon photographe », mais d’aller au-delà des styles acquis pour aborder la vie même. […] On dit qu’une bonne photographie vaut mille mots. Mille mots peuvent être bien bruyants. Pourquoi pas un peu de silence, un moment non disputable dans l’espace ? Si les histoires se racontent encore et encore, de bien des façons, à travers des mots et des photographies, le silence, lui, est une denrée rare. […] Non seulement les paysages indiens, les climats sont d’une diversité extrême, mais encore la société dans ses composantes religieuse, linguistique, culturelle, avec l’incroyable particularité qu’ici, plusieurs siècles ont appris à cohabiter en même temps. Mes images doivent relayer cette complexité en proposant une expérience multiple. Au mieux, une image devient une photo-histoire de notre époque. Pour moi, l’Inde est le monde, un océan de vie bouillonnant nuit et jour. Elle n’est jamais la même au même endroit. L’opportun et l’incongru se séparent pour se fondre à nouveau. Le secret, c’est de capter l’amalgame de toutes ces vies vécues en des temps différents. Parfois, des méditations distinctes fusionnent et s’assemblent en un même lieu, simple confluence spontanée de circonstances. Je me tiens au beau milieu de ce déluge humain, à essayer de dénouer la convergence et l’émergence de couleurs variées, la myriade de nuances dans toute émotion, dynamisé à chaque chargement et déchargement. Énergie et richesse renouvelées… l’agitation et la tranquillité trouvent en moi leur refuge. Le souhait inapproprié d’être quatre ou cinq. C’est le désir que la vie a d’elle-même qui me pousse à continuer. Le jaillissement de l’invisible, la révélation de l’inconnu ne cessent de me stupéfier. Une expérience qui devient Darshan1.
Quel pays que le mien !
Raghu Ra
1. Darshan : en sanscrit, « conversation avec dieu ». En termes pratiques, entretien avec un chef spirituel, un gourou.
Je considère l’appareil photo comme un outil d’apprentissage. Quand on regarde à travers l’objectif, on parvient à une certaine concentration. Dans ces moments, on pénètre l’invisible, on découvre l’inconnu. C’est un apprentissage de soi et du monde […]. À mesure que j’apprends la vie déclic après déclic, dans ces instants de plénitude, le désir surgit finalement de me libérer des besoins et des exigences, des émotions et des stimulations qui nous entravent tant. […] Tout ce que l’on est dans ces moments est reflété dans son travail, si bien qu’on réfléchit comme un miroir. […] Je crois que le travail du photographe consiste à insérer une tranche du monde qui l’entoure dans un cadre, avec tant de fidélité et d’honnêteté que s’il devait la reposer à sa place, le monde reviendrait à la vie sans un heurt. Mon but, maintenant, n’est plus d’être un « bon photographe », mais d’aller au-delà des styles acquis pour aborder la vie même. […] On dit qu’une bonne photographie vaut mille mots. Mille mots peuvent être bien bruyants. Pourquoi pas un peu de silence, un moment non disputable dans l’espace ? Si les histoires se racontent encore et encore, de bien des façons, à travers des mots et des photographies, le silence, lui, est une denrée rare. […] Non seulement les paysages indiens, les climats sont d’une diversité extrême, mais encore la société dans ses composantes religieuse, linguistique, culturelle, avec l’incroyable particularité qu’ici, plusieurs siècles ont appris à cohabiter en même temps. Mes images doivent relayer cette complexité en proposant une expérience multiple. Au mieux, une image devient une photo-histoire de notre époque. Pour moi, l’Inde est le monde, un océan de vie bouillonnant nuit et jour. Elle n’est jamais la même au même endroit. L’opportun et l’incongru se séparent pour se fondre à nouveau. Le secret, c’est de capter l’amalgame de toutes ces vies vécues en des temps différents. Parfois, des méditations distinctes fusionnent et s’assemblent en un même lieu, simple confluence spontanée de circonstances. Je me tiens au beau milieu de ce déluge humain, à essayer de dénouer la convergence et l’émergence de couleurs variées, la myriade de nuances dans toute émotion, dynamisé à chaque chargement et déchargement. Énergie et richesse renouvelées… l’agitation et la tranquillité trouvent en moi leur refuge. Le souhait inapproprié d’être quatre ou cinq. C’est le désir que la vie a d’elle-même qui me pousse à continuer. Le jaillissement de l’invisible, la révélation de l’inconnu ne cessent de me stupéfier. Une expérience qui devient Darshan1.
Quel pays que le mien !
Raghu Ra
1. Darshan : en sanscrit, « conversation avec dieu ». En termes pratiques, entretien avec un chef spirituel, un gourou.
Rétrospective réalisée avec le soutien de HP. Tirages réalisés par Dupon Digital Lab. Coproduction des Rencontres d’Arles et de la Fundación Tres Culturas del Mediterráneo de Séville.
Exposition présentée au Palais de l’Archevêché.