Depuis leur création, les Rencontres d’Arles défendent la photographie et l’ensemble de ses acteurs : artistes, commissaires d’exposition, éditrices et éditeurs... C’est dans cette volonté que les Rencontres d’Arles associent le Prix Découverte Fondation Louis Roederer à tous les lieux d’expositions : galeries, centres d’arts, espaces associatifs, lieux indépendants et institutions, qui sont souvent les premiers à accompagner les artistes. Cette année encore, les projets retenus sont considérés comme une seule et même exposition, pensée, de la sélection à l’accrochage, par une commissaire, Audrey Illouz. Pendant la semaine d’ouverture, un jury décerne le Prix Découverte Fondation Louis Roederer, qui récompense une ou un artiste et la structure porteuse du projet à travers une acquisition d’un montant de 15 000 euros, et le public décerne le Prix du Public qui s’accompagne d’une acquisition d’un montant de 5 000 euros.

SUR LE QUI-VIVE

L’exposition part d’un sentiment d’intranquillité diffus mais largement palpable chez les sept artistes présentés à l’occasion de cette quatrième édition du Prix Découverte. Elle évoque une acuité au monde, un état physique et psychique où l’artiste se tient en alerte pour aborder les troubles du temps sans céder à la frontalité. Face aux désastres qui guettent ou rongent déjà, des scénarios alternatifs tiennent la catastrophe à distance et dessinent des chemins de traverse.

Sans doute plus que ses nombreux synonymes imparfaits (malaise, angoisse, anxiété…), le terme « intranquillité » popularisé par la traduction de l’ouvrage du poète portugais Fernando Pessoa* laisse présager cet état de conscience accru, vibratoire. La série L’Inquiétude de Nanténé Traoré donne le ton. Il y règne un sentiment de flottement comme si tout semblait prêt à vaciller. La tension est latente mais palpable. Dans ses portraits, Tshepiso Mazibuko ausculte sa génération, celle des born free, et les suivantes dans l’Afrique du Sud post-apartheid, les fissures et accrocs se multiplient. Si le travail de Coline Jourdan consiste précisément à rendre compte d’une pollution invisible, son approche photographique cherche à en déceler les indices dans le paysage plutôt qu’à s’aventurer en terrain catastrophiste. Lorsque François Bellabas photographie la Californie aux prises avec le feu et que la tension monte d’un cran, c’est pour en proposer une relecture dystopique où l’IA s’est progressivement imposée. Flash-back : chez Cemil Batur Gökçeer la catastrophe a déjà eu lieu lorsqu’il constitue son archive sensible du désastre (inondations, feux de forêt, tremblements de terre). La pellicule est ensuite soumise à de multiples expositions. Les photographies qui en résultent laissent, à la manière d’un présage, advenir une image du doute. Fast-forward : dans son installation, Marilou Poncin s’inspire du design spéculatif pour anticiper un futur proche où les humains peuvent désormais nouer une relation affective et sensorielle avec des objets technologiques. De manière plus réflexive, dans l’installation photographique de Matan Mittwoch, une violence sourde refait surface lorsqu’un geste d’obstruction fait apparaître une brèche incandescente ou lorsqu’une surface abrasive donne l’illusion d’un paysage stellaire. Les œuvres présentées font souvent déraper le temps chronologique et nous maintiennent sur le qui-vive.

Audrey Illouz

*Fernando Pessoa, Le Livre de l’intranquillité, Paris, Christian Bourgois éditeur, 1988.


Les projets d’artistes sélectionnés pour le Prix Découverte 2024 Fondation Louis Roederer sont :

→ FRANÇOIS BELLABAS (France) 
présenté par LE CENTRE PHOTOGRAPHIQUE D'ÎLE-DE-FRANCE (France)

→ CEMIL BATUR GÖKÇEER (Turquie)
présenté par KA (Turquie)

→ COLINE JOURDAN (France)
présentée par LE LIEU DE LA PHOTOGRAPHIE (France)

→ TSHEPISO MAZIBUKO (Afrique du Sud)
présenté par UMHLABATHI COLLECTIVE (Afrique du Sud)

→ MATAN MITTWOCH (Israël)
présenté par PAR GALERIE DVIR (Belgique / France / Israël)

→ MARILOU PONCIN (France)
présentée par GALERIE LAURENT GODIN (France) 

→ NANTÉNÉ TRAORÉ (France)
présenté par GALERIE SULTANA (France)