Lorsque les gens se déshabillaient en vacances, ils quittaient par là même la détermination sociale des citoyens soviétiques, embrigadés qu’ils étaient dans un système qui neutralisait leur identité, y compris sexuelle, jusqu’au dernier degré. Ces individus dénudés posant pour un photographe de rue manifestent un plaisir spontané à poser ensemble. Ce n’est certainement pas une coïncidence si la majorité de ces clichés sont des portraits de groupe. Curieusement, ce sont souvent les hommes qui sont allongés sur les genoux des femmes, plutôt que l’inverse. De fait, telle une épidémie sociale, le socialisme affectait et déformait surtout les hommes de la nation soviétique. Dans l’impossibilité de percevoir un salaire à la hauteur de leurs qualifications et de leur mérite, incapables d’assumer femme et enfants, les hommes cédaient souvent à l’infantilisme ou à l’alcool. La situation a perduré jusqu’au début des années 1990 et l’émergence d’un « capitalisme sauvage » qui a vu réapparaître l’instinct macho chez les jeunes hommes photographiés par Bakharev. Sa série Relation est un puissant portrait psychologique et ethnographique des provinces russes. Des signes de détérioration, reflets de la transformation du système social, sont visibles sur ces images. Néanmoins, les photographies de Nikolai Bakharev possèdent une chaleur unique et une charge émotionnelle intense qu’on ne retrouve que chez les individus vulnérables ayant perdu tous leurs repères. Dans un pays où la sexualité et le corps nu ont été censurés dès le milieu des années 1930, les travaux de Bakharev sont devenus une part importante de la culture non officielle en général et de la photographie non officielle en particulier.

Olga Sviblova