Comment la mémoire et ses reliquats façonnent-ils notre manière de voir ? Philippe Calia se penche sur cette question dans les recherches qu’il mène actuellement sur les espaces muséaux. À travers des archives qui réunissent des images prises dans des galeries d’exposition et des commentaires extraits de livres d’or dans des musées en Inde, il met en évidence les structures de cette institution postcoloniale et l’incidence de celle-ci sur notre perception de l’art, des objets et des idées. En explorant la subjectivité propre aux relations entre le public et l’image, Les Archives Ajaib Ghar [The Ajaib Ghar Archive] livre un commentaire sur l’autorité qu’exerce le musée dans le cadre de cette dynamique et souligne le potentiel polysémique des photographies.

En sacralisant les objets et en les extrayant de leur contexte, le musée enferme les sociétés dans une certaine vision de l’histoire. Les images de Calia révèlent son artifice, en tant qu’Ajaib Ghar (« maison des merveilles ») et en interrogeant son rôle d’institution de pouvoir. Incarnation de la tendance coloniale à cataloguer et à définir, le musée continue à promouvoir des aspirations impérialistes. Lorsqu’il décrit certaines communautés comme des spécimens et des particularités, il alimente souvent les récits dominants présentés comme des « vérités ».

Calia invite le public à laisser des commentaires dans son livre d’artiste et remet ainsi en cause l’aura même de l’œuvre, tout en reconnaissant qu’il est possible de s’approprier et de contester les récits. À travers le titre A Visitor’s Book [Le livre d’un visiteur], il fait référence à sa propre dualité en tant qu’auteur : d’une part, citoyen français travaillant en Inde depuis quinze ans ; d’autre part, spectateur devenu artiste lui-même. Puisant dans toutes ses expériences au contact de l’art, il inscrit ses propres commentaires sous la forme de dessins. L’artiste convoque par ce biais notre « musée imaginaire » et nous invite ainsi à prendre conscience de l’influence de ce dernier sur notre perception de la réalité.

Tanvi Mishra