Édition 2009

BRIAN GRIFFIN

Rétrospective, Le Peuple de L’Eau, L’Équipe, Les gens qui ont construit le tunnel sous la Manche

Rétrospective
La photographie est entrée dans ma vie en 1966, alors que je travaillais dans une usine qui fabriquait des tapis roulants dans le Black Country, une zone près de Birmingham. Le contremaître m’a suggéré de m’inscrire au club photo voisin. J’ignore tout à fait pourquoi il m’a parlé de ça. Pour être honnête, je n’étais pas profondément intéressé — mais je me suis inscrit au club photo et j’ai acheté mon premier appareil. Ce n’est qu’en 1969, lorsque je travaillais dans un bureau à Birmingham en tant qu’ingénieur spécialisé dans le nucléaire que la photographie a pris une nouvelle tournure dans ma vie. Ma petite amie de l’époque m’a soudain quitté et je me suis retrouvé seul et dévasté. Ma vie est alors devenue vide et je me suis mis à en détester tous les aspects. Pris de panique, j’ai envoyé ma candidature à des universités pour me plonger à plein temps dans l’étude de la photographie.
Cette discipline m’apparaissait alors comme l’unique échappatoire dont je disposais. Je ne sais pas pourquoi mais, dans mon désespoir, j’avais confiance en moi. Pourtant, les images que j’avais prises jusqu’à ce moment étaient épouvantables : elles ne faisaient pas preuve d’un grand talent, mais trahissaient plutôt un désintérêt partiel pour le sujet.
Le Manchester College of Art & Design a été la seule université qui m’a accepté. À la fin des années 1960, la photographie n’était pas une discipline très à la mode en Angleterre. Dans l’ensemble, les cours et les professeurs — tous des anciens de la Royal Air Force — étaient affreux, mais j’ai beaucoup apprécié le fait de quitter la maison pour la première fois de ma vie. C’est surtout grâce à la bibliothèque de l’université que je me suis instruit. Au bout de trois ans, mes connaissances en photographie étaient plutôt minces, mais j’étais devenu un jeune homme capable de se débrouiller tout seul. J’ai eu mon diplôme en 1972. J’ai passé les huit mois suivants à travailler dans la sidérurgie afin de gagner un peu d’argent, avec l’ambition de devenir photographe professionnel à Londres. Toutes les illusions de réussite que j’entretenais ont été mises à l’épreuve et presque brisées jusqu’au moment où, désespéré, presque au point d’abandonner, après trois ou quatre mois à marcher à travers Londres de long en large, j’ai rencontré Roland Schenk, le directeur artistique du magazine Management Today, qui à mon grand étonnement m’a proposé un travail sur-le-champ. J’apprendrais par la suite que, comme moi, Roland croit à la règle que la réussite n’arrive qu’à la suite d’un total échec. Il m’a forcé à devenir un bon photographe en me terrorisant psychologiquement, jusqu’à ce que je sois capable de produire quelque chose d’intéressant avec un sujet somme toute ennuyeux. Je passais mon temps à photographier des gens dans des bureaux, un environnement que j’avais quitté trois ans plus tôt, en plein désespoir. C’était bien le style de photographie qui m’intéressait le moins, mais c’était ma seule chance. Il faut aussi noter qu’au début des années 1970 ce style de photographie n’était vraiment pas à la mode. Roland, suisse et artiste, m’a aidé à chercher mon inspiration, ma voie. Après deux ans de recherche, je l’ai trouvée : un mélange d’expressionnisme allemand, de films noirs, de musique, de Franz Kafka et de réalisme social soviétique. Sans doute parce qu’à un niveau visuel et sonore, ces éléments me rappelaient mon enfance dans le Black Country des années 1950. J’ai commencé à voir les sujets que je photographiais comme ceux de ma propre scène théâtrale. Le théâtre de mon imagination. Cela me ravissait d’imaginer tous ces directeurs et ces comptables comme des acteurs dans des pièces de théâtre, avec leurs bureaux en guise de décor.
C’est en 1976 que j’estime avoir pris ma première bonne photo — des travailleurs londoniens dans la City, intitulée Rush Hour London Bridge, en référence à Metropolis de Fritz Lang. Ce jour-là, j’ai enfin pu respirer : je savais que je pouvais devenir un véritable photographe.
Brian Griffin, 28 décembre 2008.

Le Peuple de L’Eau
Pour peu qu’on connaisse les portraits de Brian Griffin, l’exposition The Water People peut surprendre. En effet, elle n’est composée qu’à moitié de portraits, et seule une poignée obéit à son style noir habituel. Les autres portraits sont des images abstraites, photographiées au travers de l’eau ; d’autres sont de magnifiques paysages dépouillés d’Islande. Griffin est marié à une Islandaise, Brynja Sverrisdottir, mais il nous dit avoir photographié l’île sur une commande de Reykjavik Energy, une société d’énergie géothermale. « Cela me plaît d’avoir une commande et puis de trouver le moyen d’y répondre », dit-il. La commande originale était simplement de « représenter l’eau » et Griffin était libre de l’interpréter comme il l’entendait. Mais sa réponse très particulière au sujet allait en étonner plus d’un : il s’agit d’une recherche photographique des « gens de l’eau ». « Il y a des années, j’ai inventé une machine qui faisait couler de l’eau sur une plaque de verre, que j’installais devant mes modèles, explique t-il. Lorsqu’on m’a commandé ce travail, je me suis souvenu de cette machine et j’ai demandé à Reykjavik Energy de m’en construire une nouvelle. J’ai installé un studio dans leurs bureaux et j’ai photographié toutes sortes de gens, de la mère de Björk jusqu’aux employés de la société. J’aimais beaucoup les yeux de poisson que cela créait. « Je me suis ensuite demandé où pourraient habiter ces gens de l’eau. J’avais également en tête le Voyage au centre de la terre de Jules Verne. Les cascades, l’eau me rappelaient les cavernes souterraines du livre : voilà certainement où les gens de l’eau se trouvent. » Et Griffin de poursuivre ce thème : on retrouve au début de l’exposition les images des « pilotes » qui l’emmènent voir les gens de l’eau, et le siège de Reykjavik Energy est représenté comme le lieu secret où se retrouvent ces pilotes. Malgré une approche excentrique, les photographies stupéfiantes qui en résultent ont pu être utilisées par Reykjavik Energy dans leurs documents institutionnels. Après tout, Griffin, qui a débuté dans la photographie institutionnelle chez Management Today, maîtrise depuis longtemps l’art d’obtenir un soutien financier pour ses projets ésotériques.
Diane Smyth, rédactrice adjointe du British Journal of Photography, Londres.
 
 
L’Équipe, Les gens qui ont construit le tunnel sous la Manche 
Comment représenter l’échelle monumentale du plus grand projet de construction britannique ? La construction de High Speed 1, ce nouveau tunnel pour la ligne ferroviaire à grande vitesse qui va jusqu’au terminus grandiose de St Pancras International a été abondamment documentée à chacune de ses étapes. Mais Greg Horton, le directeur artistique et consultant créatif pour London & Continental Railways (LCR) a pensé qu’une entreprise aussi gigantesque méritait des images plus fortes.
Or, il connaissait un photographe qui avait déjà travaillé sur des projets monumentaux, quelqu’un qui pouvait apporter une touche d’héroïsme aux milliers d’ouvriers impliqués dans les neuf années de construction de HS1. De sa série Work sur le chantier de Broadgate à Londres dans les années 1980 jusqu’à The Water People, une commande récente de Reykjavik Energy sur la remarquable structure géothermale islandaise — tous deux publiés sous forme de livres — Brian Griffin s’est forgé une renommée internationale pour son approche non conventionnelle du portrait institutionnel, en employant des éclairages complexes et, souvent, en introduisant un élément surréaliste dans ses images. C’était un pari risqué pour les membres de LCR mais, après avoir vu les photographies impressionnantes des ouvriers en train de construire la « Stratford Box » (une boîte souterraine contenant les plates-formes de la gare internationale de Stratford), ils étaient d’accord avec Horton. Griffin photographie les ouvriers de St Pancras dans un studio de fortune installé sur un parking, leur donnant une attitude courageuse, vaillante, grâce à son éternel éclairage directionnel, un noir et blanc classique et des poses formelles rappelant le style constructiviste russe. Sans nul doute sauvé par une parution primée dans le Sunday Times Magazine, LCR donne le feu vert à Horton de poursuivre le projet, ce qui va mener à la plus importante oeuvre photographique institutionnelle depuis, selon Griffin, l’Exposition universelle de 1851. 
Alors que les ouvriers sont représentés comme des héros, les managers — les cerveaux derrière ce projet faramineux — sont montrés sous un jour plus contemplatif, dans des cadrages cinématographiques, prenant des décisions au milieu de la nuée d’Algeco du chantier de St Pancras. Dans les images de groupe, les équipes dirigeantes reçoivent un traitement plus pictural, à la façon des mécènes du XVIIe siècle, comme s’ils posaient pour un portrait de Frans Hals, le regard figé dans l’espace. Quant aux ingénieurs américains, ils apparaissent dans de petits récits mystérieux, quelque peu surréalistes — des énigmes à déchiffrer. Il s’agit en tout et pour tout d’un travail de commande non-conformiste typique de Griffin, dont l’engagement artistique et l’approche complexe du sujet ont donné naissance à l’œuvre qu’un tel triomphe d’ingénierie méritait.
Simon Bainbridge, rédacteur en chef du British Journal of Photography, Londres.

www. briangriffin.co.uk
Brian Griffin est représenté par les galeries Ardenandanstruther et England & Co.
Tirages réalisés par Lighthouse Darkroom, Londres.
Encadrements réalisés par Circad, Paris.
Réalisation : Olivier Koechlin.
Production exécutive : Le Tambour Qui Parle.

Exposition projetée à l’Atelier de la Maintenance, Parc des Ateliers.
Une première rétrospective de son œuvre avait eu lieu à Arles en 1987.

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