Édition 2009

présenté par LUCIEN CLERGUE

JEAN-FRANCOIS SPRICIGO

J’ai découvert le travail de Jean-François Spricigo lors de son exposition à la galerie Agathe Gaillard et j’ai été frappé par la qualité de son regard et le mystère qui s’impose dans ses images. Ce sont des photographies qui posent des questions, intriguent et surtout échappent à la mode actuelle et ont un accent, un ton, une vibration qui font que Jean-François Spricigo ne ressemble à aucun autre photographe de sa génération. Il travaille en noir et blanc, ce qui se fait rare, et donne à ses noirs des profondeurs qui nous engloutissent et nous laissent difficilement nous en échapper ; et pourtant, il y a des lumières subtiles, regard de chat, yeux de chien, rides sur l’eau, qui frémissent, comme pour s’évader de ces noirs profonds. Un combat avec l’ange que l’on devine sans fin, où il n’y a pas de vainqueur, où la nécessité intérieure d’un vrai poète s’exprime par l’image (mais aussi par l’écriture, comme on le découvrira plus tard). Dans les entretiens que j’ai pu avoir avec Spricigo, j’ai été frappé par sa haute culture cinématographique, attentif aux détails qui révèlent un auteur, comme ces signes forts que sont le regard d’un chat ou la nage d’un chien, et ces photographies qui bougent, s’animent et disent avec force leurs secrets à qui veut bien les entendre : «l’oeil écoute!» Laissons-nous engloutir par «cette bouche d’ombre ouverte en forme de cri» qu’est son objectif, et gardons le courage de nous laisser surprendre par ce solitaire venu du pays de Jacques Brel, que je suis fier de parrainer pour le 40e anniversaire de nos Rencontres.
Lucien Clergue


(…) ÉTRANGE PHOTOGRAPHE celui qui, tournant son objectif vers la perpétuelle et inquiétante mutité des choses, nous les montre non dans leur présence réelle, mais dans leur possible et sensible évanouissement.
C’est dans cette évanescence, peut-être, que repose la vraie nature du tragique. L’univers de Jean-François Spricigo n’est guère plus étendu que la distance où porte son regard. Il est fait de moments banals, de voyages peu lointains, de visages familiers, de présences amies, d’animaux dépourvus d’exotisme. Pourtant, c’est un monde du glissement, un monde où tout se transforme sans cesse ainsi que dans les mythes fondateurs des Grecs, un univers où les lumières émergent de l’intérieur de l’image, à l’exemple des lueurs qui guident vers la mort ou le salut des héros de contes de fées. Les images semblent émerger d’une profondeur d’ombre infinie, le mouvement qui les habite n’est plus celui de la photographie, pas encore celui du cinéma. Il est le mouvement du récit, de la narration, du conte. Toutes ces photographies se répondent, s’appellent, s’engendrent les unes les autres en un réseau potentiellement infini. Un réseau qui couvre sonmonde, comme si la carte se superposait exactement au territoire, comme si l’image transposait exactement le songe. Les photographies de Spricigo sont étoilées de fractures, parsemées de traces et d’accidents, d’éraflures et de manques. Il les accepte et en fait oeuvre, le coup de dés du hasard n’a jamais été aussi présent que dans cette oeuvre, pourtant maîtrisée de bout en bout. (…) Le grain prend ici une ampleur somptueuse, une violence troublante, devient lui-même part du récit qui s’élabore. Mais Spricigo n’entreprend nullement un grand récit philosophique (…). Il reste dans l’en deçà, son monde n’appartient qu’à lui. Il le fait nôtre pourtant, notre recherche d’une image fondatrice et originelle surgie droit de la mémoire et de l’enfance, trouve son accomplissement dans sa vérité à lui. C’est cela. « Ça a été » aussi pour nous. C’est en quoi son univers apparemment si restreint, si étroit, touche à l’universel. Peu d’artistes possèdent l’apanage de faire disparaître en un seul geste la frivolité et la superficialité, d’aller droit à l’essentiel et de ne pas s’en écarter, dans un art aussi mince que celui de la photographie, nous découvrons la « profondeur de la peau » évoquée par Nietzsche.
Le monde intime que cette oeuvre ouvre pour nous semble trouver son essence dans la dernière phrase écrite par Gérard de Nerval, le soir même de sa mort : «Ne m’attendez pas ce soir car la nuit sera noire et blanche. »
Anne Biroleau

Jean-François Spricigo est représenté par la galerie Agathe Gaillard.
Tirages réalisés par DUPON Digital Lab.
Encadrements réalisés par Jean-Pierre Gapihan.

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